Il est content de s'expliquer. Il a beau avoir le cuir durci par les batailles, depuis le temps, celle-là, ECOPOP est particulière. Ancien directeur du WWF suisse, puis de l'0ffice fédéral de l'environnement, il a une certaine habitude des énervements contre lui. "Je suis un écologiste de naissance. Né dans ce qui était alors un gros village, le Grand-Lancy, j'ai vu physiquement comment il est devenu en quelques années une ville, la façon dont cela s'est abîmé."
La nature: pour Roch, qui a toujours sa carte du PDC, elle compte sans doute plus que cette écologie au sens des Verts, des politiques. Parfois perce un agacement quand il parle d'eux. Un peu comme si ce n'était plus tout à fait le même langage, le sentiment qu'ils sont d'avantage dans le calcul électoral et donc l'adaptation aux modes du temps, que dans ce qui le motive, lui: une volonté d'immersion, vivre dans l'air pur, les arbres et les prés.
Il a 65 ans depuis quelques semaines. Ce qui pourrait être l'âge de la sagesse est bousculé. "Mes meilleurs amis m'avaient prévenu. Je savais ce qui m'attendait. Mais je ne pouvais pas ne pas y aller". La violence du choc demeure. Il a passé sa vie militante dans le camp philosophique du "bien": lutter contre la pollution, le gaspillage des ressources et les sols, protéger les animaux, alerter sur les changements climatiques. Sans compter son accident de santé: une tumeur au cerveau, il y a quelques années, dont il est sorti victorieux, et même renforcé par la compassion qu'il s'était rassemblé autour de lui, du courage qu'il eût alors à en parler.
Passer du camp du bien au mal
Mais il est devenu le "mal", Philippe Roch, depuis quelques semaines. Les sondages, soudain, inquiètent ceux, du Parlement au Conseil fédéral, des milieux économiques aux institutions, qui n'ont "comme d'habitude, rien vu venir". Ecopop, méprisé façon guigne folklorique par tout ce joli monde, grimpe. "C'est comme avant les minarets, comme avant le 9 février: on balaie les préoccupations des gens, on refuse de parler avec eux de ce qu'ils perçoivent comme problématique. Et ensuite, on s'étonne des votations...". Le camp du mal, donc, en première ligne en raison de sa notoriété: Philippe Roch se retrouve traité de xénophobe, d'apprenti sorcier flirtant avec les nationalistes, insulté comme une sorte de Monsieur Jourdain du colonialisme.
Il y a chez lui au demeurant les braises fortes d'une véhémence de tréteaux et d'homme de dossier. Sur la table, dans la cuisine, chaleur du poêle, il a rassemblé une épaisse liasse de documents. Il veut argumenter, expliquer, tenter de raisonner. Il vous sert une tisane maison, mélange d'herbes du jardin et de jus de pommes bio. "Je voulais vraiment, et seulement, un débat sur la démographie. Rien d'autre.", commence-t-il. "J'en ai 'parlé dans tous mes livres: je ne vois pas comment on peut nier que si la surconsommation des ressources naturelles, de l'énergie, des sols, des paysages, est le problème de base de tout écologiste, cela fait partie d'une équation dont l'autre variable est le nombre de consommateurs de ces ressources sur un territoire donné". Il n'en démordra pas. Il fonctionne en scientifique, entend démontrer pour convaincre, s'intéresser à la mécanique des problématiques avant de s'intéresser au reste.
Au reste? Ecopop demande une limite de 0,2% par an à l'accroissement du solde migratoire de la Suisse. N'est-ce pas une mesure, de fait, aux forts relents anti-étrangers? Ce d'autant qu'elle est additionnée dans un deuxième temps (ce qui pose des questions d'unité de matière) d'une demande d'encouragement à la planification familiale dans les pays en développement: en clair, faites moins de gosses, ailleurs. Malthusianisme, néocolonialisme, il entend depuis quelques semaines à peu près tout. Il prend une respiration. "Il n'y a pas, chez moi, un microgramme .de xénophobie". Il a martelé la phrase. Il en a détaché chaque syllabe. On le croit, évidemment. C'est un humaniste, Philippe Roch. Il a voyagé dans le monde entier, il l'a pris dans ses bras, il en sait les émotions fortes, les interdépendances, les richesses infinies des cultures et des hommes. "Passer mon temps à me justifier de ne pas être anti-étrangers, à voir les débats tronqués ne parler que de ça, c'est une forte déception".
Un contre-projet méprisé
Il n'a pas voulu faire partie du comité d'initiative. Et acceptant de lui venir en aide, ça n'a l'a pas empêché de tenter de proposer un contre-projet. "Je suis allé à Berne, au Conseil des Etats, devant les parlementaires de la Commission des institutions. J'imaginais un contre-projet sans limite chiffrée: juste un engagement de la Confédération à travailler à une limitation de l'accroissement de la population. Ils ne m'ont même pas écouté. Quant au Conseil national, ils n'ont pas pris la peine de m'inviter". Une amertume pointe. Au fond, c'est peut-être bien fait pour eux, ces sondages à la hausse.
On finit par lui demander s'il souhaite vraiment la victoire d'Ecopop. Le bon vieux "signal fort", du genre une grosse quarantaine de pour-cent de oui, ne suffirait-il pas au succès? "Je ne sais pas. De toute façon, le résultat sera interprété en termes de xénophobie, pas du tout en termes de préoccupation démoraphique". Qn sort faire des photos. Il s'est mis à la méditation, depuis quelques années, creusant son rapport spirituel à la nature. Autour de lui, il y a l'exubérance verte ou brun foncée, des feuilles mortes et arbres mouillés. C'est un drôle d'endroit pour dire que l'on prêche dans le désert.
"La surconsommation des ressources fait partie d'une équation dont l'autre variable est le nombre des consommateurs." Phillippe Roch